Interview : Thierry Giraud, Vice President Restauration chez Accor | Wisefins

WiseFins a récemment eu l’opportunité d’interviewer Thierry Giraud, Vice-Président de la restauration chez Accor, un acteur majeur de l’industrie hôtelière. Cette entrevue exclusive a permis de découvrir les réflexions et les perspectives d’un leader reconnu dans le secteur de la restauration. Grâce à son expérience approfondie et sa vision novatrice, Thierry Giraud a partagé des idées passionnantes sur les tendances actuelles et futures de la restauration au sein de l’industrie hôtelière. Thierry Giraud a aussi souligné l’importance fondamentale d’intégrer des pratiques respectueuses de l’environnement dans l’industrie de l’hôtellerie et de la restauration. Son engagement envers un avenir plus durable dans l’industrie a inspiré et encouragé de nombreux acteurs du secteur à suivre cette voie responsable, ouvrant la voie à des pratiques de restauration plus respectueuses de l’environnement dans les hôtels Accor et au-delà.

Source : @Thierry Giraud – LinkedIn 

WiseFins : Pouvez-vous partager avec nos lecteurs votre parcours professionnel, de vos débuts dans l’hôtellerie restauration jusqu’au poste de VP restauration Accor que vous occupez aujourd’hui ? 

Thierry Giraud : Mon parcours s’est principalement concentré dans le domaine de la restauration. J’ai commencé par étudier dans deux écoles hôtelières et à faire des saisons en France et en Suisse. Par la suite, j’ai déménagé en Allemagne pour prendre la direction culinaire de deux hôtels. J’ai ensuite rejoint un groupe de restauration à Francfort, qui possédait deux restaurants sur la place de l’Opéra. Après un passage à Paris, j’ai intégré Accor en 1989, dans un tout nouvel hôtel de 300 chambres fraîchement ouvert. À ce moment-là, j’ai commencé à m’occuper partiellement des achats pour le groupe et à observer les pratiques des autres hôtels, en particulier en Allemagne. Dans les années 90, j’ai pris la direction de la Restauration et des Achats du groupe pour l’Allemagne et l’Autriche, et j’ai poursuivi ces responsabilités jusqu’en 2000. À partir de cette année-là, j’ai quitté le groupe pour me consacrer à l’achat de produits alimentaires extrêmement rares et luxueux pour le compte d’une clientèle internationale composée de restaurants trois-étoiles, de cours royales et de grandes fortunes. Nous livrions, par exemple, le Burj-al-Arab deux fois par semaine. Ce fut une expérience particulièrement captivante, opérant 24 heures sur 24. Je manageais une vingtaine d’acheteurs et nous étions en relation avec plus de 700 fournisseurs à travers le monde. En 2007, j’ai de nouveau rejoint le groupe Accor en prenant la direction de la restauration pour Sofitel Europe du Nord, puis, je rentre en France pour m’occuper de la restauration Sofitel France et Europe du Sud. En parallèle, j’occupe le poste de numéro 2 au Sofitel Marseille Vieux Port. En 2013, je me consacre exclusivement à la restauration de la marque Sofitel pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen Orient, incluant une cinquantaine d’hôtels. Puis, je prends la direction de la restauration pour les marques Sofitel, Pullman et MGallery en France. Enfin, en 2022, je prends la direction de la restauration de toutes les marques Accor en France et en Europe du Sud, en passant de Greet, Ibis Style, Ibis Budget jusqu’à Sofitel. 

 

WF : Pourquoi avoir particulièrement choisi d’évoluer au sein du groupe Accor ? 

TG: Il y avait de formidables opportunités qui se présentaient à moi et je ressentais que je contribuais réellement. Dans ce domaine, lorsque tu perçois ces opportunités, ce besoin des gens à ton égard, cela devient un équilibre favorable pour rester, pour souhaiter rester et apprécier rester. Ainsi, j’ai ressenti le besoin d’apporter toute mon expérience acquise au cours des 45 dernières années et de la partager. Car, bien entendu, cela fait partie intégrante de notre métier, voire constitue sa base : ne rien garder pour soi et tout donner.

 

WF : Dans le domaine de la restauration, vous avez fait preuve d’une remarquable capacité d’innovation, en développant de nombreux projets visant à améliorer ce secteur. Parmi ceux-ci, lesquels vous procure une fierté particulière ?

TG : Des projets, nous en avons lancé beaucoup ! Il y a, par exemple, des projets de carrière de Chef. J’en suis encore quelques-uns aujourd’hui, même en dehors du groupe Accor. Nous avons également des projets liés à la responsabilité sociale des entreprises (RSE) comme notre projet, lancé il y a 5 ans, de n’utiliser que des fruits et légumes bio dans les hôtels Premium et Luxe ou encore, de réduire le gaspillage alimentaire et d’éliminer certains produits ayant un impact carbone élevé. Ces concepts fonctionnent très bien aujourd’hui. Lancer un concept, un projet, c’est relativement simple, à condition de prendre en compte et de satisfaire les quatre piliers essentiels de la restauration : 

  • le premier pilier : le propriétaire, qui doit en tirer des bénéfices. 
  • le deuxième pilier : le client, il est crucial de ne jamais oublier ses besoins. Si nous agissons uniquement pour nous-mêmes sans penser au client, cela ne fonctionnera pas. 
  • le troisième pilier :  la direction de l’hôtel, qui doit être à l’aise avec nos actions. 
  • le quatrième pilier : qui est tout aussi important, voire essentiel, ce sont les collaborateurs.

Chaque fois qu’on lance quelque chose de nouveau, on le lance en pensant à ces quatre piliers qui sont la base. 

Nous avons aussi abordé différents concepts relatifs aux petits-déjeuners, à la fois dans les pays du Nord, du Sud et en France. J’ai toujours accordé une grande importance au petit-déjeuner, car c’est un élément essentiel. Les Chefs ne comprennent pas toujours parfaitement cette importance, car ils ont majoritairement des parcours gastronomiques. Il est toutefois essentiel de comprendre que proposer un excellent petit-déjeuner est également un atout majeur pour un hôtel. Pour les hôtels, participer à des concours et remporter des challenges en matière de petit-déjeuner ont été une expérience gratifiante. Nous avons remporté de nombreux concours et avons été élus plusieurs fois “Meilleur Petit-Déjeuner en Europe” avec quelques hôtels Sofitel. 

Enfin, nous travaillons constamment avec un challenge d’approvisionnement. Nous sommes toujours à la recherche de nouveaux produits qui mettront en valeur les compétences des Chefs, tout en offrant aux clients une expérience mémorable.

 

Sofitel Marseille Vieux Port - Petit Déjeuner

Source : @Sofitel Marseille Vieux Port – ALL

 

WF : Pour rebondir sur vos projets RSE, quelle est votre vision du développement durable dans la restauration ?

TG : Dans le cadre de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), il est important de faire des choix, tout en gardant à l’esprit les quatre réflexions fondamentales : 

La première réflexion concerne la qualité. Il est inutile d’aller chercher des produits qui ne sont pas bons à proximité. Il est également inutile d’importer des produits de mauvaise qualité venant de l’autre bout du monde. 

La deuxième réflexion concerne l’impact sur la santé de nos clients. Il est essentiel de prendre en compte l’impact des produits que nous utilisons, en particulier les légumes qui poussent au niveau du sol, et qui peuvent être chargés en produits phytosanitaires, qu’il s’agisse d’engrais, de produits de protection ou d’insecticides. Il faut privilégier le bio. 

La troisième réflexion concerne la saisonnalité. Depuis des années, je me bats pour éviter les framboises en janvier et les fraises en décembre, privilégiant les produits de saison lorsqu’ils sont disponibles. Et bien sûr, lorsque ces produits sont locaux ou nationaux, nous les préférons. Cela peut parfois être un peu compliqué. Les asperges espagnoles ou italiennes arrivent avant les asperges françaises. Devons-nous commencer à travailler avec les asperges lorsque les asperges espagnoles sont prêtes, ou devons-nous attendre les asperges françaises ? Devons-nous être les premiers ou devons-nous viser l’excellence ? Ainsi, chaque fois, il faut faire un choix éthique concernant les produits et les recettes, entre l’attente de la saison en France et les saisons déjà entamées dans d’autres pays.

La dernière réflexion concerne l’environnement. Il y a des produits qui viennent de très loin, dont on n’a peut-être pas besoin. Je me rappelle avoir fait un sondage auprès des Chefs parisiens : “Pensez–vous pouvoir faire de la cuisine sans avocat ?”.  Après quelques instants de réflexion, ils m’ont répondu : « Oui ». J’ai alors répliqué en leur disant : « Merci ». Depuis trois ans, certains hôtels ont cessé de servir de l’avocat, car on sait que son approvisionnement n’est pas toujours très respectueux de l’environnement et qu’il nécessite une grande quantité d’eau.

 

WF : Pour inspirer nos lecteurs, avez-vous des exemples d’initiatives écologiques mises en place dans les hôtels Accor ? 

TG : J’ai, par exemple, veillé à ce que tous les hôtels dont j’avais la responsabilité proposent des options véganes en chambre et au restaurant, car cela revêt une réelle importance. Il est important de reconnaître que le véganisme ne se limite pas à une simple tendance, mais englobe de nombreux aspects. Le véganisme ne se résume pas, non plus, à des haricots fades ou à des graines bouillies, c’est bien plus complexe que cela. C’est un choix qui nécessite réflexion, maturation et travail. Préparer des plats véganes demande une recette extrêmement élaborée, car il faut composer sans protéines animales, dans un contexte où la cuisine traditionnelle française n’est pas particulièrement à l’aise. En effet, la France n’est pas réputée pour son expertise en matière de légumes. Il existe de nombreux pays, notamment ceux du Sud, du Maghreb et de l’Inde, où l’on travaille davantage les légumineuses, les fruits et les légumes que dans notre pays. La France a longtemps été caractérisée par une consommation abondante de protéines animales, ce qui a relégué les légumes au second plan.

 

WF : Avez-vous justement constaté une augmentation de la demande pour des offres F&B plus respectueuses de la planète ?

TG : Il est essentiel de communiquer aux clients les détails de nos offres. Depuis environ six ans, toutes nos viandes proviennent exclusivement de France, ce qui est expliqué clairement. De plus, nos fruits et légumes sont cultivés selon des méthodes biologiques, et cela est également indiqué sur notre carte. Ces discours sont non seulement attendus, mais aussi fédérateurs. Il est donc crucial de transmettre nos engagements aux clients.

 

Sofitel Paris Le Faubourg

Source : @Sofitel Le Faubourg – ALL

 

WF : Comment voyez-vous, l’évolution de l’importance du développement durable dans l’industrie F&B ? Est ce que vous pensez qu’elle va prendre plus d’importance ou moins d’importance dans le futur ?

TG: Le développement durable est comparable à un tsunami. Il est impossible de l’éviter ou de l’ignorer en se disant « On verra plus tard. » Tout ce que nous faisons aujourd’hui est orienté dans cette perspective. Il y a trois ans, j’ai lancé une nouvelle gamme de thés appelée PURE. Cette gamme de thés est entièrement conçue avec des emballages compostables à domicile. Tous les thés sont certifiés biologiques, et ce n’est pas tout. J’ai insisté pour qu’ils ne contiennent aucun arôme, qu’il soit naturel ou artificiel. Les seuls goûts que nous utilisons pour créer du Earl Grey ou du jasmin sont des huiles essentielles biologiques. De plus, nous proposons toute une gamme de produits similaires, tels que des confitures réalisées dans une structure d’aide au travail (ESAT) qui emploie des personnes en situation de handicap. Nous lançons le mois prochain une confiture avec des fruits cueillis en pleine maturité et à la main. À mes yeux, il est bien plus important de permettre à des individus de travailler avec des fruits frais, en utilisant leurs mains, plutôt que d’acheter une confiture industrielle. C’est là l’aspect humain de notre métier.

 

WF : Dernière question, pensez-vous que le développement durable puisse être générateur de revenus ? 

TG : Peut-être pas encore aujourd’hui, car je pense que la sensibilité environnementale n’est pas suffisamment présente, donc cela ne se traduit pas dans nos choix. Cependant, demain, cela sera une décision à prendre. Lorsque nous choisirons de séjourner dans un hôtel ou de dîner dans un restaurant, nous prendrons en compte leur engagement en matière d’écologie, de développement durable et de gestion des déchets, tout ce qui contribue à la préservation de notre environnement. Demain, certains clients choisiront ces destinations précisément parce qu’elles mènent un véritable travail dans ce domaine. Par conséquent, il est évident que nous enregistrerons plus de revenus, une plus grande marge bénéficiaire et de meilleurs résultats en empruntant cette voie.